Bolivie : feux de forêt massifs et déforestation menacent la biodiversité
Chaque année en Bolivie, des millions d’hectares sont dévastés par les incendies. En 2024, les feux ont été d’une ampleur sans précédent, dix millions d'hectares, l’équivalent de deux fois et demie la superficie d’un pays comme la Suisse, ont été réduits en cendres. Plusieurs mois après la fin des feux, leurs conséquences se font toujours ressentir : communautés sans production agricole pour se nourrir, personnes âgées à la santé encore précaire à cause des fumées et, bien sûr, la forêt et sa biodiversité qui peinent à se remettre de cet épisode. De notre correspondant en Bolivie,«Ici, on parle de la saison de feux de la même manière que l’on parle de l’hiver ou de l’été. Ça arrive chaque année, de manière toujours plus forte et violente». Au parc Ambue Ari, dans l’est de la Bolivie, les membres du staff se sont habitués à lutter tous les ans contre les incendies. Dans ce sanctuaire, on récupère et soigne des animaux sauvages issus du braconnage, des incendies ou encore de la déforestation. En période d’incendies, de juillet à octobre, de nombreux animaux brûlés ou déshydratés sont amenés à la clinique vétérinaire du parc par la population.Paresseux, singes, tortues ou encore oiseaux y sont soignés avant d’être relâchés dans le sanctuaire. En 2024, le parc a même récupéré une jaguar de 6 mois : «normalement, nous n’acceptons pas de félins car nos espaces d'accueil sont saturés, explique Ivan Marquez, biologiste, mais dans ce cas-ci, elle est jeune et nous pensons pouvoir lui apprendre à chasser seule pour pouvoir la libérer». Il s’agira du premier jaguar relâché de l’histoire de la Bolivie. Du fait des incendies, beaucoup d’animaux sauvages se réfugient d’eux mêmes dans le parc. «L’écosystème du parc est souvent surchargé, continue le biologiste, par exemple, ici, il y a un nombre de jaguars bien supérieur à ce qu’il devrait y avoir dans un espace naturel.» D’année en année, la déforestation et les incendies font reculer la forêt, résultat : aujourd’hui Ambue Ari est devenue une île de biodiversité au milieu des champs et des pâturages. Dans l’est du pays, la déforestation a explosé ces 10 dernières années. «À partir de 2012-2013, le gouvernement planifie une vision de diversification de l'économie, en particulier le développement de l'agro, c'est-à-dire le bétail et le soja, il devient donc beaucoup plus tolérant avec toutes les lois environnementales», explique Stasiek Czaplicki, économiste environnemental, spécialisé sur le secteur agro exportateur ainsi que la déforestation et les incendies. «Depuis qu’il y a eu ces feux, chacun survit comme il peut»La biodiversité n’est pas la seule à se remettre difficilement des feux. Dans la petite ville de San Javier, à 200 kilomètres d’Ambue Ari, les communautés autochtones continuent de souffrir des conséquences des incendies. «Notre centrale indigène Païkoneka est une organisation qui regroupe 60 communautés et 1 500 familles, desquelles 300 ont dû émigrer en ville parce qu'elles n’avaient plus rien à manger chez elles», raconte Brian Baca Talamas.La grande majorité des habitants des communautés autochtones produit son alimentation elle-même et un petit surplus qu’elle vend sur les marchés. Mais comme de nombreux champs ont été ravagés par les feux, beaucoup de personnes ont dû trouver un travail salarié en ville. «J’ai ma femme et mes enfants, je n’ai pas eu d’autre option que de partir car il n’y avait plus d’eau dans ma communauté et l’incendie avait ravagé toute ma parcelle», témoigne Enrique Pesoa, qui a dû travailler plusieurs mois comme maçon pour faire vivre sa famille. «J’ai 57 ans et n’avais jamais eu à partir comme ça de ma communauté pour travailler ailleurs, confie Agustín Parapaena, c’est très dur pour nous les habitants des communautés, on souffre de devoir partir. Depuis qu’il y a eu ces feux, chacun survit comme il peut». La centrale indigène Païkoneka a combattu du mieux qu’elle pouvait les incendies, grâce à 50 pompiers volontaires formés et équipés, ainsi qu’en sensibilisant les habitants pour qu’aucun incendie ne se déclare dans les territoires des communautés. «Mais les feux arrivent de l’extérieur, des voisins. Ils vont brûler dans un ranch, perdre le contrôle du feu et ça finit par arriver chez nous», dénonce Brian Baca Talamas. Jusqu'à l'année dernière, l’amende à payer lorsque qu’un feu devenait hors de contrôle était de 20 centimes de dollar par hectare. Il était moins coûteux de payer l’amende après un feu que défricher une parcelle avec un bulldozer. La discipline dans les communautés n’a donc pas empêché que certaines soient dévastées à 80 ou 90% par les flammes. Écoles fermées dans un-tiers du pays au plus fort des incendiesÀ San Javier, mais comme dans tout le département de Santa Cruz et une partie de la Bolivie, les fumées des feux ont également fait beaucoup de dégâts. «Entre le mois de juin et la fin octobre, nous avons 2 jours de pluie, en août, où nous avons pu respirer, sinon c’était de la fumée tout le temps», se rappelle Brian Baca Talamas. «Mon fils aîné a eu des problèmes pulmonaires et il a dû être évacué de la communauté», raconte Enrique Pesoa. Au plus fort des incendies, les écoles ont été fermées dans un tiers du pays. Même dans des villes comme La Paz, en pleine montagne et à des centaines de kilomètres des incendies, les élèves risquaient d’être affectés par les fumées. «Maintenant, il est guéri, parce qu’il est jeune, continue Enrique, mais il y a des personnes âgées qui continuent de souffrir». C’est notamment le cas de Maria, 64 ans : «J’ai encore des problèmes aux yeux, ils se fatiguent très vite. Donc oui, ma vue n’est plus la même depuis les incendies et c’est pareil pour mon mari.» Elle ajoute qu’à Bella Vista, sa communauté, les sources d’eau ont aussi été affectées. «Certains ruisseaux se sont asséchés et les autres étaient contaminés par les cendres, boire leur eau nous rendait malade». Malgré toutes ces conséquences sur les populations locales et sur la biodiversité, les incendies et la déforestation ne sont pas près de s'arrêter. «Le gouvernement bolivien continue de penser que le secteur agro exportateur va lui donner beaucoup plus de bénéfices qu'actuellement, donc il est en train de prendre des mesures pour aider son expansion», analyse Stasiek Czaplicki. La protection de la forêt et de ses écosystèmes n’est donc toujours pas à l’ordre du jour.